Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Russie-Ukraine : seule la défaite politique et militaire des atlantistes conduira à une paix stratégique

Russie-Ukraine : seule la défaite politique et militaire des atlantistes conduira à une paix stratégique
Illustration générée par l'intelligence artificielle.
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La Russie répète souvent que le conflit en Ukraine prendra fin lorsqu’elle aura pu éliminer les sources mêmes de ce conflit, seul moyen d’obtenir une sécurité stratégique. Karine Bechet-Golovko doute qu'il soit possible d’obtenir ce résultat par les négociations avec les États-Unis.

Face à la précipitation de Trump et des atlantistes, qui ont un besoin urgent de stopper l’armée russe, dont l’avancée sur le front ukrainien les met en danger, les élites dirigeantes russes affirment la nécessité d’éliminer les sources de ce conflit. Les deux visions ne sont pas si différentes que cela, puisque dans les deux cas, il s’agit de la volonté de réduire à néant le danger, afin de protéger son mode de gouvernance.

La Russie constitue bien un danger pour les globalistes : une Russie souveraine ne peut avoir de place dans un Monde global, qui par définition ne peut reconnaître l’existence d’un pouvoir primaire et originaire à l’institution étatique. Le simple fait de la revendication par la Russie de ses intérêts légitimes va à l’encontre de la globalisation. Or, comme Poutine l’a très justement souligné, la Russie ne peut exister qu’en étant souveraine.

Mais quelle est la source du danger pour la Russie ? Car pour savoir s’il est possible de l’éliminer par les négociations, encore faut-il l’identifier.

Certes, la poussée néonazie du pouvoir en Ukraine constitue un danger, mais il n’est pas le danger primaire, puisque ce pouvoir en Ukraine a été rendu possible par la suite d’ingérence extérieure. Il est donc la conséquence et non pas la source de ce qui constitue un danger pour la Russie. Son élimination, si elle est impérative, ne sera pas suffisante pour résoudre stratégiquement la question de la sécurité de la Russie.

De même en est-il pour la militarisation de l’Ukraine. Elle découle de la chute de l’URSS et de la prise en main de l’espace ukrainien post-soviétique par les forces atlantistes.

En ce sens, si l’Ukraine constitue un danger immédiat pour la sécurité stratégique russe, elle ne constitue pas le seul danger. Les atlantistes travaillent en profondeur l’espace post-soviétique depuis la chute de l’URSS, afin de le contrôler, de priver la Russie de son espace historique naturel et donc réduire ainsi sa force. Ce qui, il faut le reconnaître, dans l’ensemble leur réussit plutôt bien.

L’Arménie est en passe de dilution globalisée suite à la politique tenue par Pachinian et s’engage sur la voie ukrainienne de «l’européanisation», tout en s’éloignant de l’Organisation du traité de sécurité commune. Les pays d’Asie centrale développent une ligne politique qui place de plus en plus leurs institutions étatiques sous la coupe des organisations globalistes. La Moldavie est préparée pour être un nouvel axe de conflit et son rapprochement avec la Roumanie, où se construit une grande base militaire de l’OTAN, n’est pas anodin. Seule la Géorgie semble être revenue sur la voie de l’intérêt national, après une vague de révolutions de couleur et de gouvernance globaliste.

La source du danger pour la Russie se trouve dans l’existence des élites globalistes

En élargissant la zone, on remarquera la fin de la neutralité atlantiste avec l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN, et la radicalisation des Marches de l’Empire global, que ce soit dans les pays Baltes ou en Pologne. Ce qui a mis fin à toute zone de tampon entre le Monde global et la Russie.

En ce sens, la source du danger pour la Russie se trouve dans l’existence des élites globalistes. Leur existence même fait perdurer un danger pour la Russie. Ce danger peut être latent, comme en Moldavie, ou actif comme en Ukraine.

S’il est possible par les négociations de limiter pour un temps l’élargissement de l’OTAN, par exemple, il semble impossible d’enchaîner ces élites globalistes, encore moins de remettre en cause leur pouvoir. Elles n’abdiqueront pas, il faudra bien les démettre.

Cette impossibilité logique d’éliminer la source du danger stratégique pour la Russie par les négociations tient à deux facteurs, qui sont liés l’un à l’autre : les parties à la négociation et l’objet de cette négociation.

Dans ce processus, la Russie est en pourparlers avec Trump et la nouvelle administration américaine, qui elle-même est en discussion avec les Européens et les Ukrainiens. Et cela sur fond de discours politico-médiatique d’une soi-disant rupture au sein des élites globalistes. Ce qui soulève la première question logique de s’adresser à Trump, s’il y a rupture. Car si un «accord de paix» est obtenu, il doit être ratifié formellement par toutes les parties au conflit.

Nous voyons ensuite d’un côté les Européens, principalement entraînés par les Français et les Britanniques, en tout cas par leurs élites dirigeantes globalistes, s’entretenir avec Trump avant et après chaque réunion de «soutien à l’Ukraine», c’est-à-dire de renforcement de l’armée atlantico-ukrainienne. Si rupture il y a, elle semble bien légère alors. D’un autre côté, les Américains mettent en scène les Ukrainiens, de manière caricaturale et grotesque, pour préserver l’illusion de l’existence juridique d’un sujet Ukraine, qui a pourtant disparu du champ juridique au minimum en 2014. Mais cela leur est fondamental pour créer le discours d’un conflit limité à la Russie et à l’Ukraine, toutes deux mises sur un même pied. Cet «effet collatéral» des négociations américano-russes est en soi un attaque politique contre la Russie.

Or, au-delà de l’illusion produite d’une existence de l’Ukraine et d’une neutralité des États-Unis, le discours confus et exagéré de Trump au sujet d’une certaine «paix» à ses conditions, s’accompagne d’une violation constante par l’armée atlantico-ukrainienne des obligations prises lors de ces négociations avec la Russie et d’une militarisation à marche forcée de l’Europe suite aux injonctions de ce même Trump.

En ce sens, même les buts intermédiaires de démilitarisation et de dénazification de l’Ukraine ne peuvent être obtenus par les négociations, puisque le front est approvisionné par les atlantistes et qu’ils mettent en place les «élites» ukrainiennes, dont ils ont besoin. Ils ne se priveront donc pas de leurs instruments de combat, militaires et politiques.

La nouvelle administration américaine parle de paix en préparant la guerre

Ainsi, la position de la nouvelle administration américaine est assez cocasse : elle parle de paix en préparant la guerre. Non seulement ses satellites européens se renforcent militairement et intensifient leur prise en charge de l’armée atlantico-ukrainienne, mais elle continue elle-même à approvisionner ce front, tout en cherchant à occuper juridiquement et physiquement le territoire ukrainien par l’intermédiaire d’accords quasiment commerciaux, comme avec celui concernant les ressources naturelles ukrainiennes. Ce qui pose la question de l’objet de ces négociations.

Le but premier des atlantistes est l’arrêt de l’armée russe sur la ligne de front. Mais cela n’a rien à voir avec la résolution des sources du danger pour la Russie. À l’inverse, cela permet aux atlantistes de faire pression sur la Russie. Chaque tour de négociations oblige à faire des concessions, sinon ce n’est pas la peine de négocier. Or, ces concessions sont in fine purement unilatérales, les États-Unis étant des «arbitres» ne s’obligent pas (au minimum et pour prouver leur bonne foi) à cesser de livrer l’armée atlantico-ukrainienne en armes et renseignements, et la Russie se trouve seule à exécuter des obligations, qui devaient concerner toutes les parties.

En ce sens, les négociations aujourd’hui ne permettent pas pour la Russie de résoudre la question de l’origine du conflit. L’on ne peut décemment demander à l’ennemi de se suicider, tant qu’il n’a pas épuisé ses forces sur le terrain et que l’on n’est pas en mesure de lui imposer sa défaite. Les élites globalistes ne cesseront pas d’exister suite à ces négociations, ce qui veut dire que même si un cessez-le-feu est signé par la Russie, ce qu’annonce un peu rapidement Trump, le conflit reprendra sous peu et encore plus violemment, comme ce fut le cas à chaque tentative, si l’on se souvient de Minsk et d’Istanbul. Soulignons que chaque tentative fut plus courte que la précédente, au point que cette fois les accords de Riyad furent violés à peine acceptés.

Tant que les élites globalistes existeront, il ne pourra pas y avoir de sécurité stratégique pour la Russie, car il ne sera pas possible de remettre en cause leur système institutionnel et idéologique de gouvernance. Or, une Russie souveraine n’a pas de place dans ce système global. Les systèmes internationaux ont été profondément modifiés après la Première et la Seconde Guerre mondiale, mais ils le furent par les vainqueurs après la défaite militaire, politique et idéologique de l’ennemi. Sans cette défaite aujourd’hui, il ne sera pas possible de modifier réellement le système existant, qui permet à une élite globaliste de vivre en parasite, sur le dos des États et des peuples.

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