«Baratineur patenté», Emmanuel Macron n’a pas créé de surprises avec son discours du 5 mars, mais il est symptomatique d’une sensation de panique chez les élites européennes, selon Fiodor Loukianov, rédacteur en chef du magazine «La Russie dans les affaires mondiales», directeur de recherche du Club de discussion international Valdaï.
Le fait que le président de la République française, Emmanuel Macron, soit un baratineur patenté n’est pas nouveau, et encore moins sensationnel. La nouveauté est que toute l’Europe est aujourd’hui au bord de la crise de nerfs. Et le spectacle de responsables politiques émotionnellement instables avec un bouton nucléaire s’ajoute à l’impression générale que le monde auquel étaient accoutumées les élites politiques européennes s’effondre.
Le rapport entre les intérêts nationaux et européens s’embrouille définitivement. À l’époque classique de la Guerre froide, les questions de guerre et de paix, dans la (faible) mesure où elles concernaient les alliés européens des États-Unis, restaient la prérogative des gouvernements des grands pays, surtout la France, mais pas seulement. Les problèmes stratégiques, pendant et après cette époque, étaient placés sous la responsabilité du Conseil européen, autrement dit, l’assemblée des dirigeants des États membres. Les compromis se fondaient sur la combinaison des intérêts de certains pays et, par conséquent, très souvent selon le principe du plus petit dénominateur commun.
Ceci explique le niveau faible, pour parler gentiment, des responsables délégués pour diriger les institutions européennes. Aucun d’entre eux ne devait a priori dépasser le potentiel politique des chefs d’État européens.
Néanmoins, diverses tendances conflictuelles se sont peu à peu renforcées au sein de l’UE. En conséquence, les responsabilités entre les niveaux national et supranational ont dû subir des rééquilibrages. À bien des égards, ces transferts de responsabilité avaient une nature conjoncturelle parce que personne ne voulait être responsable devant les citoyens de ce qui se passait. Il reste encore à décrire de manière précise l’histoire de cette transformation incohérente, mais son résultat est visible depuis le début de la phase aiguë de la guerre. Les institutions européennes, en premier lieu la Commission européenne, souhaitent devenir l’état-major du Commandement suprême européen, sans fondement ni potentiel pour y parvenir.
Pourtant, à cause de ce chaos militaire et politique, l’Europe a complètement mis de côté les intérêts nationaux. Les décisions sont prises en se basant sur des facteurs idéologiques qui contredisent les objectifs pragmatiques des pays. Et c’est dans ces conditions que les institutions essaient de justifier la pertinence de ce paradoxe, qui répondrait prétendument aux objectifs de toute la communauté européenne et non de certains pays.
Depuis le retournement de la politique américaine, tout s’est compliqué. Les sentiments de panique en Europe donnent lieu à diverses impulsions, de l’intention de s’entendre à tout prix avec les États-Unis sur le maintien de leur présence militaire et politique jusqu’aux déclarations sur la volonté d’assurer de manière indépendante sa propre sécurité et l’approvisionnement de l’Ukraine. Ce dernier souhait est plutôt de la propagande, mais la politique d’aujourd’hui est telle que la propagande publique détermine en grande partie la ligne politique. En particulier dans le cas de l’Europe, où les valeurs idéologiques servent depuis longtemps d’outil politique et économique.
Quand on y ajoute un dirigeant insatisfait, avec des ambitions à l’échelle européenne, mais éreinté par les problèmes internes de son propre pays, on peut visiblement oublier le pragmatisme et les intérêts nationaux. Il ne faut pas surestimer le gargouillement de Macron, mais il ne faut pas non plus ignorer les tremblements de la France et de l’Europe. On peut en faire de belles sous l’effet d’une psychose exaltée.
Ce texte a été initialement publié sur le compte Telegram du journal «La Russie dans les affaires mondiales»
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.