Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

US recherchent nouvelle marionnette pour l’Ukraine

US recherchent nouvelle marionnette pour l’Ukraine Source: Gettyimages.ru
Un bureau de vote à Kiev (photo d'illustration).
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Les États-Unis ne cessent de parler de l’importance d’organiser des présidentielles en Ukraine. Leur intérêt est apparu après les paroles de Poutine, pointant le manque de légitimité de Zelensky. Pour autant, selon Karine Bechet-Golovko, un changement de figure ne redonnera pas sa légitimité perdue à un pays qui juridiquement n’existe plus.

Witkoff vient de le déclarer dans une interview à Carlson : ça y est, l’Ukraine est prête, des élections présidentielles y seront organisées. Ainsi, chacun pourra encore quelque temps s’esclaffer sur le départ de Zelensky, la fin de sa présidence, sa perte de pouvoir. Comme si le départ de Zelensky allait mettre un terme à la guerre atlantiste en Ukraine conduite contre la Russie, comme si Zelensky était légitime au moment de son élection formelle, comme si Zelensky exerçait réellement le pouvoir présidentiel en Ukraine, ce pays d’une souveraineté évidemment indiscutable – pour les globalistes.

L’intérêt grandissant des États-Unis pour le processus électoral en Ukraine n’est pas naïf. Ils ne s’intéressent en rien à la «démocratie ukrainienne», pas plus aujourd’hui qu’en 1991. Depuis la Révolution orange de 2004, le système politique ukrainien a été fortement déstabilisé (car il restait trop pro-russe) et fut pris en main par les atlantistes, pour être achevé avec le Maïdan en 2014 puisque les manœuvres politiques ne furent pas suffisantes pour créer une rupture dans cet espace vital commun historique. Si les États-Unis avaient eu envie d’y organiser des élections, ils l’auraient fait.

L’élément déclencheur de ce processus politique fut la déclaration de Poutine au début de l’année 2025, mettant en avant les conséquences politico-juridiques de la prolongation de facto du mandat de Zelensky : même si un accord de paix est atteint, il n’y a pas de personne compétente en Ukraine pour le signer. Après quelques grognements outre-atlantistes, la Rada a formellement résolu la question fin février, en s’y prenant à deux fois pour voter une loi très spéciale «sur la démocratie» suspendant le processus électoral présidentiel en Ukraine et prolongeant ainsi les pouvoirs de Zelensky jusqu’à la fin du conflit.

L'Occident a besoin d’une marionnette acceptée par la Russie

Mais cela n’est pas suffisant, car la Russie n’accepte plus la personne de Zelensky. Or, les atlantistes ont besoin d’avoir une marionnette acceptée par la Russie, pour signer le document qu’ils auront préparé, si la Russie cède. Ceci est la première raison évidente, Poutine ayant lui-même soulevé la question : avec qui signer un accord de paix ? Il faut donc fabriquer cette «main signante». L’administration Biden avait sous-estimé l’aspect formel de la question, puisqu’elle n’envisageait qu’une résolution du conflit s’appuyant sur une victoire militaire. L’administration Trump ouvrant la porte à une résolution du conflit s’appuyant sur une victoire politico-diplomatique, ils ont besoin de restaurer un minimum de formalisme juridique.

Stratégiquement, l’organisation d’élections  présidentielles en Ukraine doit mettre la Russie face à un dilemme et cela est le second but de cette opération conduite par les États-Unis. Mis à part le discours présidentiel du 24 février 2022, qui avait mis de l’âme dans le lancement de l’opération militaire spéciale, laissant sous-entendre et espérer une libération des terres du Monde russe, où les Russes sont justement l’objet de persécutions par le pouvoir atlantiste mis en place à Kiev, depuis cela les buts de cette opération militaire restent très flous : qu’en est-il de la démilitarisation et de la dénazification dans la réalité politique de la vision russe de ce conflit ? Cette ambivalence touche également du coup l’image même de la victoire, cette fin du conflit, qui permettrait réellement d’instaurer une paix stratégique.

Le dilemme dans lequel les États-Unis veulent coincer la Russie est très simple et sa simplicité fait son danger :

  • Soit le changement de figure à la présidence ukrainienne doit entraîner une reconnaissance de la légitimité du pouvoir en Ukraine et donc conduire à la remise en cause de la légitimité de la continuation de l’opération militaire spéciale ; le tout devant par miracle se résoudre par une parodie de combat politique, que la Russie ne peut que perdre puisqu’elle ne contrôle pas ce territoire, à la différence des États-Unis ;
  • Soit la Russie ne reconnaît pas la légitimité du «nouveau pouvoir» fictif en Ukraine, puisque les conditions de véritables élections ne sont pas réunies et que la ligne géopolitique n’en sera pas modifiée, le pays n’en deviendra pas autonome par intervention d’un Deus ex Machina sur la scène politique kiévienne ; alors l’opération militaire spéciale pourra continuer, mais les buts stratégiques de libération des terres du Monde russe et des hommes y habitant devront alors être ouvertement assumés par le pouvoir russe.

Les États-Unis, et évidemment les atlantistes avec eux, veulent opérer un tour de passe-passe afin de contraindre la Russie à reconnaître la légitimité du pouvoir en Ukraine, tout en contrôlant parfaitement le processus, afin de préserver la même ligne. Pour autant, il ne suffit pas de décréter des élections, pour qu’elles soient réelles.

Depuis 2014, les partis d’opposition ont été interdits en Ukraine. Les opposants ont été poursuivis, persécutés et tués, quand les menaces n’étaient pas suffisantes. Les médias d’opposition ont été repris en main ou fermés.

L’État ukrainien est en faillite depuis sa destruction en 2014

Rappelons que les institutions étatiques ont été détruites : les parlementaires ont été chassés de la Rada pour être remplacés par les commandants du Maïdan et leurs hommes de main ; les programmes de financement du budget ukrainien sont conditionnés à l’adoption de certaines réformes juridiques, de la conduite d’une certaine ligne politique ; les juridictions ukrainiennes sont en faillite, ce que la CEDH a reconnu dans l’arrêt pilote Burmych vs. Ukraine en 2017, en affirmant de surcroît qu’elle ne pouvait devenir la Cour suprême ukrainienne ; les rapports de la Cour des comptes de l’UE pointent le niveau de corruption généralisée.

L’État ukrainien est en faillite, il a été détruit en 2014 dans le sens juridique du terme. En effet, si l’on se réfère à Hans Kelsen, le théoricien du droit à la pensée duquel furent nourries des générations d’étudiants en droit en Europe, l’État se définit comme un ordre juridique autonome centralisé et plus ou moins efficace. Nous voyons que l’efficacité de cet ordre juridique est remise en cause sur la scène internationale elle-même, sans même parler de son «autonomie», lorsque la politique (et donc la législation, qui la met en place) est décidée en dehors du pays. Or, la souveraineté (cette autonomie de l’ordre juridique) est dans la doctrine constitutionnelle classique reconnue comme étant la qualité de l’État, sa condition d’existence.

Sans souveraineté, l’État comme institution n’existe pas. L’Ukraine comme État n’existe donc pas. Elle est au mieux un protectorat, en réalité elle n’est plus qu’un front, avec une administration locale.

Dans ces conditions, que pourrait changer l’organisation d’élections ?

Rien, car il ne s’agirait que d’une parodie. Le pluralisme, indispensable à tout processus électoral pour que les gens aient réellement un choix à exprimer, ne sera pas rétabli de sitôt. La liberté d’expression, qui doit garantir la sincérité du scrutin, c’est-à-dire du choix exprimé, est impossible tant que le territoire et les populations sont occupés et dominés par les atlantistes.

En ce sens, l’insistance des États-Unis à organiser ces élections présidentielles devant conduire à changer de marionnette n’est qu’une manœuvre de plus, dans cette guerre sans pitié, qui doit conduire la Russie à «la compromission de trop» à force de négociations en fait unilatérales, autant qu’au renoncement au Monde russe. Seul cet abandon de soi, alors qu’historiquement la Russie a toujours reconstitué autour d’elle les terres perdues à un détour de l’histoire, pourrait réellement conduire à sa défaite stratégique. Ici, le jeu de l’administration Trump est beaucoup plus vicieux et dangereux que celui joué par l’administration Biden.

Pour renverser la phrase bien connue de Carl von Clausewitz, disons que la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens. Seule la finalité reste la même.

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