Le journaliste et écrivain russe Sergueï Strokan analyse la vague d’arrestations en Arménie, qu’il interprète non comme une prévention contre un coup d’État, mais comme une purge orchestrée par le pouvoir en vue des législatives – et une rupture historique prônée par Pachinian au nom d’une prétendue «Arménie réelle».
La situation en Arménie entre dans une nouvelle phase de confrontation très aiguë. L’archevêque Mikael Adjapakhian, arrêté samedi, risque de devenir la prochaine victime de la vague de répression.
La veille, des agents du Service de sécurité nationale ont fait irruption dans la résidence du Catholicos des Arméniens à Etchmiadzine pour arrêter l’archevêque, mais ont rencontré la résistance de ses partisans. Afin d’éviter des heurts entre les forces de l’ordre d’une part, et les fidèles et leurs prêtres d’autre part, Mikael Adjapakhian a quitté la résidence du Catholicos et s’est rendu à Erevan, où il a été placé en garde à vue. Il a été inculpé pour des appels à renverser le pouvoir, mais le hiérarque a qualifié ces accusations de fabriquées de toutes pièces.
Ainsi, le conflit avec le Catholicos de tous les Arméniens, Garéguine II, que le Premier ministre arménien Pachinian avait précédemment accusé de violation du vœu de chasteté, n’était que le prélude à ce que nous observons aujourd’hui. Le vocabulaire politique en Arménie s’est vu ajouter un nouveau terme : « clergé oligarchique criminel ».
Selon les forces de l’ordre, ce même clergé était en train de préparer ni plus ni moins qu’un coup d’État, censé être dirigé par le leader du mouvement d’opposition « Lutte sacrée », Bagrat Galstanian.
Parmi les personnes prétendument impliquées dans la préparation de ce « projet criminel », aux côtés de l’entourage du Catholicos, figurent de grands représentants des élites politiques et économiques, ainsi que des acteurs de la société civile.
Parmi eux figurent les anciens présidents Robert Kotcharian et Serge Sargsian, ainsi que l’homme d’affaires connu du public Samvel Karapetian. Il n’existe aucune preuve de la préparation d’un « coup d’État ».
Il y a donc tout lieu d’affirmer que le « fantôme de 1937 » plane sur l’Arménie.
Certains tentent d’expliquer ce qui se passe par les élections législatives prévues pour l’année prochaine et par l’intention du Premier ministre, prêt à jouer la carte du « tous les coups sont permis », d’écarter au préalable tous ceux qui pourraient le défier dans les urnes.
Il devient de plus en plus évident qu’il s’agit d’un nettoyage total du milieu politique qui suppose de progresser via des conflits et non via la recherche d’un consensus national et l’instauration de la paix sociale.
Cependant, lors de cette bataille, ce n’est pas seulement le pouvoir ni le fauteuil de Premier ministre qui sont en jeu. Tout ce que fait Pachinian nous indique qu’il compte mener à bien, au cours de ce nouveau cycle politique, son projet de prétendue « Arménie réelle » qu’il oppose à l’« Arménie historique ».
Pour Nikol Pachinian, l’« Arménie historique » n’est pas seulement le pays de la bataille perdue pour le Karabakh qu’il faut oublier au plus vite. Il est à noter que le premier président de l’Arménie indépendante, Levon Ter-Petrossian, qui à son époque avait appelé à des concessions sur le Karabakh, s’était lui aussi retrouvé sous le feu des critiques. Cela n’a pas empêché Pachinian d’accuser l’ancien président de collaborer avec le KGB pendant la période soviétique et, depuis le début des années 1990, d’avoir, sur ordre de Moscou, conduit le processus d’indépendance de l’Arménie sur la voie de l’échec stratégique. Pachinian qualifie cette stratégie de Ter-Petrossian, poursuivie par les présidents Kotcharian et Sargsian, de « stratégie d’État fantoche ».
Il ne fait aucun doute qu’il s’agit également d’une attaque dissimulée contre la Russie, et l’Arménie de l’époque de ses prédécesseurs, alliée de Moscou, est considérée par Pachinian comme une « marionnette » de la Russie. Ainsi, ses accusations contre la Russie trouvent leur origine au moment de l’apparition de l’État arménien indépendant après l’effondrement de l’URSS.
En résumé, Pachinian continue de couper les ponts et son « Arménie réelle » pourrait être le pays qu’il aura lui-même détruit.
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.