Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Tension entre la Russie et l’Azerbaïdjan : quand la question ethnique devient une arme géopolitique

Tension entre la Russie et l’Azerbaïdjan : quand la question ethnique devient une arme géopolitique
Photo d'illustration.
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Alors que le conflit entre l’Azerbaïdjan et la Russie prend de l’ampleur, pour Karine Bechet-Golovko, il ne faut pas s’arrêter aux apparences : il s’agit de la finalisation de l’instrumentalisation de la question ethnique dans l’espace post-soviétique pour faire disparaître la Russie comme sujet géopolitique, comme ce fut le cas pour l’URSS.

Formellement, tout a commencé avec l’interpellation le 28 juin à Ekaterinbourg d’Azéris par le Comité d’enquête de Russie, qui les accusait de faire partie d’un groupe criminel ethnique, ayant à son actif plusieurs meurtres et tentatives de meurtre dans la capitale de l’Oural depuis les années 2000. Sept d'entre eux furent inculpés. Par la suite, un huitième figurant a été interpellé et ils furent tous placés en détention provisoire par décision judiciaire, jusqu’au 19 juillet. Soulignons, qu’il s’agit de citoyens russes originaires d’Azerbaïdjan.

Lors des arrestations, deux des bandits sont décédés suite à des problèmes cardiaques. Leur corps a été donné aux autorités azéries, qui ont démonstrativement organisé des funérailles nationales en criant leur haine de la Russie. Chaque époque a les héros qu’elle mérite.

De leur côté, les autorités azéries ont interpellé huit ressortissants russes, dont des journalistes de Sputnik, pour trafic de drogue à partir de l’Iran et escroquerie en ligne. Les Russes apparurent avec des visages tuméfiés devant le juge et ils n’ont pu avoir accès aux représentants consulaires.

D’une manière générale, la situation se détériore sérieusement pour les Russes habitant le pays. Selon l’ambassade de Russie sur place, des citoyens russes ont signalé l'arrivée à leur domicile de personnes en civil qui se renseignaient sur l'objet de leur séjour et vérifiaient leurs documents. Selon certains, des violences ont même été exercées contre eux et leurs familles.

Pour sa part, l’agence Sputnik ne voit pas la possibilité de poursuivre son activité dans le pays. Deux de ses responsables ont été interpellés, ainsi que certains journalistes, et placés en détention provisoire pour quatre mois. La question de la fermeture des écoles russes a été soulevée. Les délégations azéries ont annulé leur participation aux différents événements avec la Russie. Tout programme culturel russe a été interdit sine die en Azerbaïdjan.

L’Azerbaïdjan demande à la Turquie d’ouvrir une grande base militaire dans le pays, pour le protéger des ambitions « impériales » de la Russie, et de la Chine au passage. La Turquie fait pression sur l’Arménie, depuis sa victoire par KO dans le Haut-Karabagh, pour obtenir l’accès terrestre qui lui manque tant au territoire azéri, ce qui lui permettrait de renforcer alors l’emprise déjà très forte sur ce pays. Sur fond de rapprochement avec la Turquie, c’est une remise en cause totale des équilibres dans la région, qui se profile aux portes de la Russie, réouvrant à terme la question de la stabilité de certaines régions russes.

La réaction timide de Moscou

Face à une telle agressivité, la réaction de Moscou est des plus conciliantes, pour ne pas dire faible. Pour l’instant, en réalité, il n’y a pas de réaction, sauf la convocation de l’ambassadeur d’Azerbaidjan qui s’est vu remettre... une note orale.

Le porte-parole du Kremlin déclare : « La Russie ne menace pas Bakou. La cause profonde des événements réside dans les actions visant à résoudre des crimes, notamment contre des Azéris. »

Le ministère russe des Affaires étrangères condamne ces actions, conduisant à remettre en cause les relations stratégiques établies entre la Russie et l’Azerbaïdjan établies par les accords entre les deux pays et appelle les autorités du pays à revenir au texte des accords conclus.

La faiblesse et le formalisme juridique de la réaction laissent songeur. Alors que le chef de la diaspora à Ekatérinbourg avait été interpellé, il a gentiment été relâché après avoir été entendu... en qualité de témoin.

Comment expliquer cette position de la Russie, à laquelle on se confronte en fait à chaque fois qu’il s’agit d’un conflit émergeant dans l’espace post-soviétique ?

Les élites dirigeantes russes n’ont toujours pas réussi à remettre en cause le paradigme issu de la défaite de 1991, dont elles sont issues.

Alors que suite à la chute de l’Empire russe, l’URSS a réussi à dépasser cette défaite et à reconstituer l’espace russe dans sa quasi-totalité, la Russie post-soviétique n’est toujours pas sortie de ce paradigme « post-soviétique ». Elle n’ose toujours pas reconsidérer le territoire et les hommes dans leur perspective historique et stratégique. Elle accepte la défaite. Or, on ne fonde pas une nation sur une défaite.

Cela se voit avec l’Ukraine. Même après des années de combats, les autorités russes s’excusent presque encore de devoir « répondre » aux crimes commis par l’armée atlantico-ukrainienne sur son territoire, de devoir mettre en place « une zone tampon » pour se protéger, affirment ne pas avoir de prétention territoriale mais être simplement obligées d’agir faute de garanties de sécurité. 

Autrement dit, si à un moment donné les atlantistes lui accordent, dans leur grande bonté, certaines « garanties de sécurité », qui seront évidemment violées ensuite comme ce fut le cas avec la promesse de non-extension de l’OTAN, la Russie n’aura plus rien à faire des terres et des hommes du Monde russe et les laissera sous domination globaliste ?

Ce culte globaliste de l’intangibilité des frontières, tant que cela ne va pas de le sens d’une expansion du Monde global, a justement été posé en 1991 de manière parfaitement hypocrite. Et la Russie se retrouve face à des entités, dont les élites ont été dopées au faux patriotisme local, qui n’est qu’une russophobie active, plus ou moins officielle.

L’Azerbaïdjan, un pays créé de toutes pièces par l’Union soviétique

Pour preuve de la dimension artificielle de ces « patriotismes locaux », dès que ces élites veulent remettre en cause cette ingérence globaliste, comme en Géorgie, elles sont alors condamnées par les élites globalistes, qu’elles soient européennes ou américaines.

Rappelons que l’Azerbaïdjan, comme pays, a été créé de toutes pièces par l’Union soviétique en contrepartie de l’intervention britannique lors de la guerre civile. Dans son histoire première, il s’agissait d’un territoire qui passait pendant des siècles des mains des Perses à celles des Turcs. Au XIXe siècle, il fut intégré à l’Empire russe, sans avoir de structures institutionnelles propres.

Lors de l’existence de la République soviétique socialiste d’Azerbaïdjan, le territoire était peuplé de diverses ethnies et comptait notamment beaucoup d’Arméniens. C’est dans les années 80 que la situation s’est radicalisée avec l’introduction artificielle et extérieure d’un nationalisme azéri, qui a conduit à la guerre avec les Arméniens et au nettoyage ethnique de la République à la chute de l’URSS. Pour autant, les tuteurs anglo-saxons n’ont pas immédiatement pu implanter des élites radicales, il a fallu laisser passer le temps, laisser faire l’oubli de l’histoire et la reprogrammation de la société.

Le moment est arrivé d’achever le travail, en quelque sorte.

Ainsi, l’actuel Azerbaïdjan a bénéficié de deux mouvements : la matrice institutionnelle mise en place par l’URSS et la matrice ethnique favorisée par les globalistes, pour couper le territoire de la Russie.

Si la Russie ne développe pas de politique plus active et moins complexée dans son étranger proche, l’Ukraine ne sera que le début d’une longue file de conflits, qui vont s’enchaîner à ses frontières, la défaite tactique de 1991 conduisant à sa disparition stratégique.

C'est pourquoi les élites russes doivent impérativement opérer leur « révolution cognitive », afin de pouvoir « concevoir » cette autre ligne politique dont la Russie a un besoin existentiel et urgent.

 

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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