La présidente à vie de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait une déclaration surprenante, sur le plan juridique : l’UE serait proche de trouver un tribunal qui condamnerait la Russie. Pour Karine Bechet-Golovko, ce ne serait qu’une instance politique, car aucune formule n’existe pour fonder légalement un tribunal de ce type.
Depuis des années, les élites globalistes cherchent un moyen pour condamner juridiquement la Russie. Il ne s’agit pas de juger, mais bien de condamner. Pour l’instant, elles se limitent à des déclarations politico-médiatiques, n’ayant aucune force juridique. Or, elles ont besoin de poser «pour l’histoire» la figure de l’ennemi et de constituer celle du coupable, mais sans avoir le temps d’attendre la fin du conflit, d’autant plus qu’elles ne sont pas certains de la victoire.
Le vainqueur, après la défaite ou la capitulation de son ennemi, est légitime à créer un tribunal pour le juger, s’il en éprouve le besoin. Pour justement être légitime à agir en dehors du cadre juridique international, il faut que le conflit soit épuisé et qu’il ait entraîné la chute de l’ordre juridique international désormais ancien. Dans le vide juridique ainsi créé, de nouveaux mécanismes ad hoc peuvent alors émerger, comme ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale, avec tout d’abord le Tribunal de Nuremberg, puis celui de Tokyo, déjà plus discutable processuellement.
Ces élites globalistes sont aujourd’hui dans une impasse. D’un côté, il n’y a pas encore de «victoire» et au regard de l’avancement, lent mais constant, de l’armée russe sur le front ukrainien, les perspectives d’une victoire rapide sont passées de l’autre côté de la ligne bleue des Vosges, quand l’idée même d’une victoire militaire contre la Russie, dans le cadre actuel d’engagement des forces, ressemble de plus en plus à un mirage. D’un autre côté, sans cette victoire, qui ouvrirait la possibilité de créer une juridiction ad hoc, les élites globalistes sont obligées d’agir dans le cadre juridique international actuellement en vigueur, qui objectivement ne leur offre aucune possibilité, ni légale, ni légitime pour réaliser leur volonté.
La Cour pénale internationale discréditée
Une tentative a été faite avec la Cour pénale internationale. Des mandats d’arrêt ont été adoptés contre le président russe, contre l’Ombudsman pour les enfants, contre des responsables militaires. Des mandats, qui n’ont eu strictement aucun effet juridique, car la Russie ne reconnaît pas la juridiction de cette instance et les autres pays ne les ont pas appliqués. Et même si la CPI a une réelle volonté de se passer de ses barrières juridiques, de passer du statut d’organe de droit international (dont la compétence dépend de la reconnaissance par les États) à celui d’organe de gouvernance globale (dont la compétence s’impose aux États), la volonté n’est pas à la mesure des moyens et la transformation n’a pas eu lieu.
L’on pourrait même dire qu’à force d’adopter des ordonnances ouvertement dénuées de fondements juridiques, niant la réalité politico-juridique, cette institution s’est définitivement ridiculisée et a perdu le peu de réputation à laquelle elle pouvait prétendre. Avec ses gros sabots, Trump est même allé jusqu’à adopter ce 6 février un décret menaçant de sanctions toute personne ou entité participant à l’action de la CPI contre les États-Unis et Israël, estimant dangereuse cette pratique de la CPI d’intervenir contre des pays qui ne reconnaissent pas sa compétence.
Il y a bien aussi des actions tentées contre la Russie devant le pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris, constitué pour l’examen de certains crimes et délits, pratique ressortant de la logique de la compétence universelle. Des actions similaires sont en cours devant plusieurs pays européens. La compétence universelle est un mécanisme très spécial, une sorte de justice sans les États, se voulant justement au-dessus des États. Il est ainsi possible de saisir le parquet de Paris pour des crimes commis en dehors du territoire français, quand il existe quand même un certain lien avec la France.
Ainsi, dès la fin octobre 2022, le droit accompagne la guerre conduite en Ukraine et sept enquêtes pour crimes de guerre ou complicité de crimes de guerre en Ukraine «au préjudice de victimes françaises» sont ouvertes. Rassurez-vous, il ne s’agit pas de juger l’armée atlantico-ukrainienne pour les crimes de guerre commis, qu’il s’agisse de la militarisation des sites civils protégés, de cibles non militaires ou des crimes commis contre les populations civiles. Et le parquet de préciser : «L'Ukraine nous donne l'occasion d'aller encore plus loin et d'agir quasiment en temps réel.» Sept dossiers ont ainsi été ouverts depuis un an, fondé sur une compétence bien précise : des victimes françaises à l'étranger. Mais le parquet peut agir sur la base d'autres compétences, explique Jean-François Ricard. «Deux autres critères nous permettraient de nous saisir d'autres dossiers. Il y a la participation possible de Français à des exactions réalisées en Ukraine. Des personnes qui se seraient engagées dans des groupes paramilitaires dans le Donbass par exemple, et nous scrutons ce genre de possibilités avec vigilance.»
Un «tribunal spécial» contre la Russie ?
Mais tout cela n’est pas suffisant pour l’UE, c’est trop lent et trop prudent. Elle a besoin, comme tout structure de gouvernance globaliste qui se respecte, de pouvoir taper fort, d’un seul coup. Elle a besoin d’un bon gros tribunal, qui condamne la Russie et bien sûr Vladimir Poutine et qui le fasse rapidement.
Or, la Cour internationale de l’ONU est incompétente ici (c’est d’ailleurs bien pour cela que la CPI a été créée). Reste les tribunaux spéciaux, comme au bon vieux temps de la Yougoslavie ou même du Rwanda. Le problème est que ces tribunaux ne peuvent être légalement et légitimement créés que par une décision du Conseil de sécurité de l’ONU, où la Russie détient un droit de veto. A priori, la Russie n’est pas prête au suicide pour voter contre elle.
Pourtant Ursula von der Leyen se dit confiante. Le tribunal pour condamner la Russie est soi-disant presque prêt : «Un projet de tribunal spécial visant à juger la Russie pour son "agression" contre l'Ukraine a enregistré des "progrès significatifs"», a indiqué le 4 février à Bruxelles la Commission européenne, qui ne s'est cependant pas avancée sur un calendrier. «Nous avons jeté les bases juridiques d'un tribunal spécial», a assuré la présidente de la Commission Ursula von der Leyen. ».
À quelle structure serait légitimement rattaché ce «tribunal spécial» reste un mystère. Il n’en existe, comme nous venons de le voir, aucune de juridiquement fondée à l’accueillir ou à le créer. Peu importe, la communication continue : «L'UE, le Conseil de l'Europe et une quarantaine de pays ont participé depuis près de trois ans à la définition de ce tribunal. Un groupe de travail a été établi, qui a tenu cette semaine à Bruxelles sa 13e réunion. La Commission européenne a dit espérer que ce soit l'avant-dernière avant une ultime réunion devant permettre de finaliser ce projet.»
Les chiffres avancés doivent certainement impressionner. Pourtant, le vide juridique reste bien là. Rien n’empêche en effet l’UE de se constituer un petit tribunal de poche, illégal et illégitime, qui pourra maintenir une pression politique. La justice politique est une vielle et douce habitude dans les régimes décadents...
En attendant, tranquillement et loin de toute cette agitation, la Russie juge et condamne les militaires ukrainiens, coupables de crimes et délits. Ainsi, depuis le début de l’opération militaire en 2022 jusqu’à décembre 2024, rien que le Comité d’enquête de la Fédération de Russie a ouvert plus 5 700 affaires pénales contre plus de 1 200 figurants, des militaires ou des politiciens du régime de Kiev. Plus de 450 représentants des forces armées ukrainiennes ont été condamnés à des peines longues, dont 59 à perpétuité.
Il est évident que les élites globalistes ont besoin d’effacer cette triste réalité, celle de la saleté de leur guerre. Une guerre qu’ils ne peuvent que gagner, le couteau sous la gorge, au risque sinon de se retrouver sur le banc des accusés. Ce ne sera pas la première fois dans l’histoire.