Le nouveau monde multipolaire prendra le train

Le nouveau monde multipolaire prendra le train
Le nouveau monde multipolaire prendra le train  [image d'illustration générée par l'intelligence artificielle]
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L’entrée en service du premier train régulier Russie–Iran n’est pas un simple événement logistique. C’est l’affirmation d’une autre géographie du pouvoir mondial : celle des puissances terrestres qui tracent leurs routes face aux thalassocraties du monde atlantique. Une lecture d’Alexandre Regnaud.

Voici une information dont on ne se doute pas de l’immense portée géopolitique. Elle nous vient de la représentation commerciale de la Russie en Iran, le 8 novembre 2025 :

« Le premier train en provenance de Russie est arrivé au port sec d'Iran, Aprin. Cette expédition constitue une étape importante dans le développement des services logistiques du corridor international de transport Nord-Sud. Le train, composé de 62 conteneurs de quarante pieds contenant de la cellulose sulfate, a parcouru […] l'itinéraire Est du corridor […]. Le temps de transit a été de 13 jours. »

La cargaison de papier et de pâte à papier venait de Russie et était destinée à l'Iran et à l'Irak, via l’itinéraire Est, c’est-à-dire en passant par le Kazakhstan et le Turkménistan. Il s’agit en réalité d’un premier train « régulier », ce qui a son importance, car cela veut dire que, sur cet itinéraire, la coordination complexe entre les différentes compagnies ferroviaires, douanes et propriétaires de marchandises est désormais opérationnelle. Un itinéraire qui fait donc partie, comme l’indique le communiqué, de l’« International North–South Transport Corridor » (INSTC). Soit une évolution géopolitique majeure.

Il s'agit d'une route de transport multimodal, permettant une connexion à travers le Caucase vers la Turquie et l’Iran (itinéraire Ouest) ou encore à travers l’Asie centrale (itinéraire Est), de l'Iran vers l'océan Indien, et de là vers l'Inde et le Pakistan, voire la Chine. Cette route permet de contourner le canal de Suez et la péninsule Arabique. Dans son extension maximale, le parcours total est estimé à 10 jours de moins que par le canal de Suez.

La route est déjà active à travers les ports de la mer Caspienne, comme Astrakhan et Olya en Russie, vers des ports iraniens comme Amirabad, où transitent déjà massivement des céréales. Pour renforcer l'axe caspien, la Russie et l'Iran envisagent de créer une nouvelle ligne maritime régulière entre le port russe de Makhachkala et les ports iraniens. 

Mais l’essentiel du développement du projet passe par le réseau ferroviaire, plus rapide et à la logistique beaucoup moins lourde. L’axe Est, donc, est désormais pleinement opérationnel depuis la semaine dernière.

Reste l’axe Ouest, où la construction en Iran du tronçon ferroviaire manquant Rasht-Astara (162 km) a été relancée au printemps 2025 avec l’aide de la Russie. Ce qui permettra de créer une liaison ininterrompue et de réduire le temps de transit total de 40 à seulement 20 jours.

L’INSTC est déjà un succès. Selon les chiffres de 2024, le volume de fret transporté s'élevait à plus de 24 millions de tonnes. Et pour cause : la filiale spécialisée de RZD, « Russian Railway Logistics », souligne que les efforts communs avec les pays voisins ont permis de réduire de moitié les coûts et le temps de transit par rapport au premier train expérimental sur un axe similaire en 2002.

L’objectif russe est d'augmenter le trafic d'au moins 1,5 fois d'ici 2030 par rapport à 2021. Depuis juin 2025 et l'arrivée du premier train chinois, 30 trains internationaux sont déjà arrivés à Aprin, une fréquence que l’Iran veut augmenter à un train par jour d’ici mars 2026.

Voie d’évasion économique

Pourquoi cela est-il essentiel ? Tout d’abord parce que cette route est une véritable voie d’évasion économique pour faire face aux sanctions occidentales, puisqu’elles n’ont aucune influence directe sur son trajet, à la différence des routes maritimes océaniques (ce qui explique la flotte dite fantôme). Mais surtout, parce que cela s’inscrit dans l'opposition historique entre les puissances maritimes — les thalassocraties — et les puissances terrestres — les tellurocraties.

Une puissance maritime va compter sur sa marine de guerre et la projection de force à distance. Ce qui lui permet de contrôler les routes maritimes, et donc le commerce international, dont elle fait la promotion à travers celle du libre-échange. Une politique qu’elle renforce par une influence culturelle diffuse, omniprésente : le « soft power ». Vous avez immédiatement reconnu la Grande-Bretagne des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles et, surtout, la politique impérialiste des États-Unis !

À l’inverse, une puissance dite terrestre se base sur son armée de terre et sur une logistique terrestre, comme le chemin de fer. Elle exploite ses propres ressources, tend vers l’autosuffisance et une économie intégrée. Sa principale préoccupation est de garantir son propre territoire tout en cherchant des rapports constructifs avec ses régions frontalières. C’est la définition parfaite de la politique russe.

Historiquement, ne pouvant rivaliser sur le continent européen par la masse terrestre, la Grande-Bretagne a toujours cherché à empêcher l'émergence d'une puissance continentale, formant des coalitions pour maintenir un équilibre des forces. C’est ce qui explique son opposition acharnée à la France napoléonienne, mais surtout à la Russie : en agitant les Suédois contre Pierre le Grand, ou plus tard en déclenchant la guerre de Crimée et le « Grand Jeu » en Asie centrale. Aujourd’hui, c’est toujours ce qui explique son engagement disproportionné en Ukraine, ainsi que celui des États-Unis, et plus largement leur insistance à vouloir détruire la puissance russe.

C’est aussi ce qui explique, par exemple, le sabotage de Nord Stream, afin d’empêcher la constitution d’un axe continental germano-russe. Et ainsi de suite. 

On comprend donc que l’INSTC est, pour eux, une menace majeure. Et l’on retrouve également une part de l’explication de l’acharnement récent de l’Occident sur l’Iran, notamment par l’intermédiaire d’Israël, inventant des histoires de programme nucléaire pour bombarder le pays, pile au moment où la construction du tronçon manquant de l’axe Ouest se concrétisait.

Encore une fois, l’Occident ne défend ni la liberté ni la démocratie : il ne fait que déclencher des conflits pour tenter de garantir la survie de son modèle économique. Un modèle incompatible avec le monde multipolaire en devenir et qu’il leur faudra soit réinventer, soit voir disparaître.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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