Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Propositions de Trump sur l'Ukraine : quel intérêt pour la Russie ? (PARTIE 2)

Propositions de Trump sur l'Ukraine : quel intérêt pour la Russie ? (PARTIE 2)
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Dans la deuxième partie de son article, Karine Bechet-Golovko poursuit son analyse des négociations sur l’Ukraine et explique pourquoi ce processus va à l’encontre de l’intérêt national russe. Moscou continue de participer à ce jeu de négociations qui ne lui a rien apporté de tangible sur le plan politique ou en termes de communication.

Tout conflit armé s’accompagne d’une dimension de guerre psychologique et cette guerre ne fait pas exception à la règle. Il s’agit bien ici, d’une part, de faire pression sur les autorités russes pour les pousser à la faute en les inondant sous un discours intrusif passant hystériquement de la caresse à la cravache. Mais d'autre part, le but est ouvertement celui de la préparation de l’opinion publique en cas de refus de la Russie, perpétuant ainsi l’image de la Russie-ennemie, désormais un adversaire de surcroît ingrat.

Aux populations occidentales, on pourra alors dire : vous voyez, on vous avait prévenu, la Russie ne veut pas « la paix » - sans préciser laquelle. Aux populations russes, il sera dit : vous voyez, vos gouvernants sont des monstres, ils préfèrent la guerre à la paix – sans préciser de quelle « guerre », ni de quelle « paix » il s’agit. Comme si tout combat était à priori injustifié, comme si toute paix (comprise comme renoncement au combat) était à priori meilleure.

Suivant cette logique, Pétain deviendrait un héros de la Seconde Guerre mondiale, quand De Gaulle devrait être condamné : les Résistants, nos aïeux, apprécieront ce glissement odieux à sa juste valeur. Et les risques de manipulation de la société sont d’autant plus réels, que le discours politico-médiatique russe a totalement intégré ce narratif binaire atlantiste.

Pour autant, l’affirmation dans les médias atlantistes d’une « faveur », qui serait faite à la Russie, souligne aussi la divergence de ligne existant au sein des Atlantistes. D’un côté, nous voyons Trump, beaucoup plus dangereux pour la Russie, tentant une approche « rationalisée » de la globalisation, débarrassée d’une partie de ses excès, et faisant des promesses à la Russie, qui pourront la tromper, puis être remises en cause dès qu’elle aura déposé les armes. D’un autre côté, les élites globalistes radicales, notamment en Europe mais pas uniquement, ne peuvent accepter même les fausses concessions et mettent en avant leur position sans compromis : arrêt immédiat des combats avant toute négociation, gel du conflit sur la ligne de front, aucune reconnaissance territoriale des avancées russes, contingent militaire de l’OTAN en Ukraine sous la bannière d'une « force de paix » et aucune restriction quant à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN.

La Russie envers et malgré tout continue de participer à ce jeu de négociations, qui pour l’heure ne lui a rien apporté de tangible, ni sur le plan politique, ni en termes de communication. Dans la foulée, elle vient encore d’annoncer accepter de négocier sans condition préalable directement avec Zelensky, qu’elle considère pourtant (depuis peu seulement) comme illégitime. En ce sens, les autorités russes tiennent leur ligne en continuant la négociation, sans arrêter fondamentalement le combat.

Que la Russie pousse l’ennemi à dévoiler son véritable visage est en soi une stratégie intéressante, mais à condition d’accepter enfin de nommer cet ennemi et de cesser de protéger les États-Unis derrière un drapeau ukrainien déjà en lambeaux. Pour que cette ligne porte des fruits, encore serait-il bon de prêter attention à certains éléments.

À qui la Russie, s’adresse-t-elle et de qui parle-t-elle ? Si elle veut démontrer à « Trump, l’arbitre », que Zelensky ne tient pas sa parole, alors la ligne est faussée et la stratégie russe ne portera aucun fruit. Trump n’est pas un arbitre et Zelensky est un pantin mis en place et dirigé justement par les Atlantistes. Ils sont donc parfaitement au courant de ce qu’il fait, puisqu’il le fait en leur nom et selon leurs instructions. En revanche, si la Russie pointe formellement les États-Unis et leurs satellites comme véritables parties au conflit, en affirmant qu’ils violent les engagements qu’ils prennent ou font prendre à Zélensky, elle sera dès lors prise beaucoup plus au sérieux par l’Occident. Car elle sera sortie du narratif atlantiste et son discours retrouvera sa fonction performative.

En reprenant le narratif globaliste, la Russie conforte en effet aux yeux de la population, parfois abusée, parfois exaspérée, Trump dans ce rôle d’arbitre, faisant oublier qu’il est le Président des États-Unis, pays qui est la source même de ce conflit. De manière surprenante, elle protège ainsi les États-Unis et leurs satellites de toute responsabilité juridique, puisqu’ils sont voilés par « l’Ukraine », tout en pointant l’utilisation des HIMARS et autres armes atlantistes, du renseignement de ces pays, des formateurs de ces pays, des « mercenaires » de ces pays. Et de la commission systématique de leur part de crimes de guerre sur le sol russe, contre des Russes, du point de vue du droit national russe. Cette approche finalement viole l’intérêt national russe.

La renationalisation du discours politico-médiatique russe permettrait notamment aux autorités russes de rétablir un équilibre, tant en termes de communication que de politique. Communication, car Trump et son équipe ont la fâcheuse tendance à se prendre pour des maîtres d’école exigeant des enfants de leur classe (Zélensky et Poutine) de bien se tenir, sagement et de répondre aux questions en temps et en heure.

Mais l’impact pourrait être politique aussi, car dès lors il serait possible de tester la véritable volonté de paix de Trump et de vérifier sa véritable marge de gouvernance. Il suffirait pour cela de lui demander de faire lui aussi, personnellement, quelques concessions immédiates pour diminuer l’intensité de ce conflit. La demande serait normale et légitime, puisque Trump et les États-Unis seraient sortis de leur fallacieuse condition d’arbitre pour revenir à leur véritable place, celle de partie au conflit. Par exemple, ne pas reconduire au moins une partie des sanctions, ne plus assurer l’intendance de l’utilisation des HIMARS (qui continuent à être tirés sur le territoire russe) ou déconnecter l’armée atlantico-ukrainienne de Starlink. Comme geste bonne volonté, puisque les États-Unis ne sont pas au-dessus de la Russie, mais ne sont qu’un pays comme les autres et en l’occurrence partie principale dans cette guerre contre la Russie conduite sur le front ukrainien.

En réalité, à ce jour, toutes les propositions faites par les Atlantistes, dont Trump, vont dans un sens très précis. Militairement, il faut geler le conflit immédiatement, puisque la Russie est en position de force, pour permettre à leur armée en Ukraine de reprendre des forces, en reconstituant des ressources militaires et industrielles en Ukraine, afin de pouvoir reprendre le conflit contre la Russie, cette fois en position de force. Politiquement, il faut donner du temps à l’unification des élites globalistes, sous l’une ou autre aile, afin que la machine puisse fonctionner à nouveau à plein régime. Quel que soit l’angle adopté, ce processus va radicalement à l’encontre de l’intérêt national russe et de l’intérêt de toutes les forces étatistes dans nos pays occupés par les Globalistes.

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