La question des garanties de sécurité revient souvent dans les discours sur la paix entre Moscou et Washington. Mais peuvent-elles en principe se «négocier» ? Pour Karine Bechet-Golovko, la réponse est évidente : «Seuls les pays forts sont capables d’assumer eux-mêmes leur sécurité. Les autres se cherchent un maître.»
Nous entendons souvent parler d’un accord sur les garanties de sécurité pour la Russie, qui passerait par un accord entre celle-ci et l’OTAN. Étant le bras armé de la globalisation, l'Alliance atlantique aurait pu sembler logique de tenter une négociation à la «source», dirait-on, du problème. Ainsi, en décembre 2021, la Russie a proposé aux États-Unis et à l’OTAN de signer un accord, qui pourrait être un compromis et devrait permettre d’éviter toute escalade militaire sur le front ukrainien. Il fut rejeté, et par les autorités américaines, et par les responsables de l’OTAN. Espérer reprendre le fil de ces négociations avec Trump et espérer qu’elles seront fructueuses, j’entends pour la Russie, serait au minimum très naïf.
«On ne négocie pas avec l’ennemi, on le détruit»
Pourquoi la réponse est-elle alors sans surprise ? Parce que l’on ne négocie pas avec l’ennemi, on le détruit. Et la Russie (en tant que pays souverain) est l’ennemi. Telle est la position des atlantistes.
Sur ce point, rien n’a changé. L’accession de Trump à la présidence n’a pas changé la donne. Seule l’approche change : à force de parler de «plan de paix», dont personne ne connaît le contenu exact mais dont chacun s’extasie dans une sorte de transe collective, Trump tente de se positionner en arbitre d’un conflit dont il est en réalité partie prenante.
Ainsi, quand la Russie fait acte de fermeté, avec le président Poutine rappelant qu’aucune concession territoriale ne sera faite, que le porte-parole du Kremlin souligne que les États-Unis ne sont pas un pays ami, mais que des discussions ont lieu pour voir comment améliorer les relations entre les deux pays, que le ministère russe des Affaires étrangères demande qu’enfin soit nommé le représentant américain pour négocier sur l’Ukraine, Trump frappe du poing sur la table.
Il ne peut accepter que les États-Unis soient reconnus pour ce qu’ils sont, à savoir la principale partie du conflit. Il ne peut se permettre de véritables négociations avec la Russie, car il n’a aucune marge de manœuvre pour le compromis. Il envoie un message dans les réseaux sociaux et somme l’Ukraine et la Russie de s’asseoir immédiatement à la table de négociations et de conclure la «paix», comme si le conflit n’était qu’entre ces deux parties, comme si lui pouvait être un arbitre, neutre, supérieur. La Pax Americana, pendant que lui signe sa «paix» avec l’Ukraine, c’est-à-dire un accord commercial par lequel il prend possession des minerais rares dans le sol ukrainien avant l’arrivée de la Russie, en contrepartie de quoi il peut relancer l’aide militaire à l’Ukraine.
Ainsi, quand on entend parler de «négocier les conditions de sécurité», il est bon de se poser quelques questions.
Tout d’abord, «quoi» négocier, quand on parle de sécurité ?
L’URSS avait négocié avec les États-Unis toute une série de traités devant garantir la sécurité du monde, par le contrôle des armements et leur réduction. Ceci n’a pas empêché les guerres. Ceci n’a pas empêché les États-Unis de les dénoncer quasiment tous unilatéralement, lorsque cela ne leur était plus favorable. Et le «pacifiste Trump» d’aujourd’hui est celui-là même qui a dénoncé l’essentiel de ces traités conclus avec la Russie : le traité Ciel ouvert, celui sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, a bloqué le renouvellement du traité New Start.
«L’intérêt soudain de Trump pour le contrôle des armements intervient alors que la Russie a pris de l’avance sur ce terrain, avec la mise au point de nouvelles armes»
La Russie peut reprendre la négociation avec les États-Unis sur certaines questions partielles. Elle peut accepter de rediscuter des questions de limitation de l’armement, même si cela est quelque peu surprenant, quand une guerre s’étend à ses frontières en raison des pays avec lesquelles elle veut négocier, quand cette guerre touche son territoire et qu’elle est expressément qualifiée d’ennemie par l’OTAN. La Russie peut et tente de normaliser au moins les relations diplomatiques avec les États-Unis, c’est le minimum réaliste.
Rappelons quand même que l’intérêt soudain de Trump pour le contrôle des armements intervient alors que la Russie a pris de l’avance sur ce terrain, avec la mise au point de nouvelles armes. Ce à quoi les États-Unis travaillent de leur côté et ne vont certainement pas interrompre les travaux.
En effet, la sécurité d’un pays passe par sa capacité de dissuasion, ce qui nécessite de garder un équilibre avantageux en sa faveur dans le rapport avec les autres pays. Ce que l’URSS avait dangereusement voulu oublier à la fin de son existence, ce dont les États-Unis se souviennent.
Autrement dit, il n’est pas possible pour un pays de négocier une sécurité générale, surtout en phase de conflit et avec les parties combattantes : cela s’appelle un traité de paix, conclu à la fin d’une guerre entre les parties combattantes, qui reprend les conditions que le vainqueur impose aux vaincus. Il est possible, en revanche, de réguler certaines questions secondaires, quand cela est de l’intérêt des différentes parties.
Nous en arrivons à la question suivante : et avec «qui» négocier ?
En temps de paix, il est possible de négocier des traités et des accords internationaux, puisque les différents pays ne sont pas en conflit les uns avec les autres. Mais nous sommes aujourd’hui et depuis des années en situation de guerre. On peut l’appeler comme on veut, c’est la guerre. D’un côté vous avez les États-Unis, avec l’OTAN et l’UE plus quelques pays satellites atlantistes, de l’autre vous avez la Russie. Il y a certes des pays sympathisants, mais leur «sympathie» se concrétise surtout par la diffusion d’un discours «pour la paix». Non pas pour la victoire, mais pour la paix, sans prendre le risque de préciser laquelle. Donc, militairement, ce ne sont pas des alliés.
«Trump se pose en arbitre, neutre, au-dessus de la mêlée, qui veut que ses enfants cessent de faire les idiots et rentrent dans la salle de classe»
Avec qui négocier ces fameuses «garanties de sécurité» ? Avec Trump, le pacifiste ? Mais il est le président élu des États-Unis et les États-Unis sont à la tête des élites globalistes, qui ont besoin d’une victoire écrasante contre la Russie.
Trump, qui dans la fantasmagorie généralisée serait ce héros solitaire, dressé contre les Européens et les atlantistes, ne semble pourtant pas si pressé que cela de réellement négocier avec la Russie. Il annonce une aggravation des sanctions contre la Russie, la possible reprise de l’aide militaire à l’Ukraine après l’accord commercial sur les minerais et veut surtout que les négociations soient restreintes à la Russie et à l’Ukraine. Il se pose en arbitre, neutre, au-dessus de la mêlée, qui veut que ses enfants cessent de faire les idiots et rentrent dans la salle de classe. Il protège ainsi toutes les élites globalistes des conséquences de leur politique, il les déresponsabilise de tous les crimes commis.
Ce n’est pas tout à fait ce que la Russie envisage, quand elle se dit ouverte à des négociations avec les États-Unis sur le conflit en Ukraine. Mais Trump n’a objectivement rien d’autre à offrir.
Ce qui nous conduit à la question technique : «comment» formaliser ces hypothétiques négociations de garanties de sécurité ?
Les Américains avaient déjà verbalement garanti, promis la main sur le cœur et le regard ferme, que jamais Ô grand jamais l’OTAN ne s’étendrait vers l’Est. Comme on le sait, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Plus récemment, à Minsk, un accord a été signé, qui devait permettre une sortie de la crise ukrainienne. Nous savons ce qu’il en a été : un gel temporaire du conflit pour donner le temps aux atlantistes de militariser l’Ukraine, l’implication de l’OSCE aux côtés de l’armée atlantico-ukrainienne au lieu de garantir le respect de ces accords et leurs violations systématiques par les Ukrainiens avec l’aide et le soutien des atlantistes.
En juin 2021, Poutine et Biden se rencontrent à Genève, sans résultat tangible pour la sécurité de la Russie, et en décembre les États-Unis et l’OTAN retoquent le projet russe, redessinant la sécurité internationale. Ils n’en ont pas besoin, ils maîtrisent largement les arcanes de la sécurité globale.
Très rapidement, après le lancement de l’opération militaire spéciale russe suite à l’échec des négociations, la Russie reprend le chemin des négociations, cette fois à Istanbul. Si les villes changent, le principe reste toujours le même : les négociations sont en soit un instrument des combats, ils permettent d’obtenir par la diplomatie ce qu’il n’est pas possible d’obtenir par les armes. Et sans aucune garantie, sans aucune contrepartie, sans aucune parole ni signature, la Russie recule et in fine l’inévitable ne peut effectivement être évité : la guerre s’installe sur le front ukrainien entre les atlantistes et les Russes.
Ainsi, ni les paroles, ni les documents ne sont des garanties éternelles. Ils n’ont de force que tant qu’il est possible d’imposer le respect de leurs termes.
Et nous en arrivons à la question ultime : est-il possible de «négocier» des garanties de sécurité ?
La sécurité d’un pays ne se négocie pas, il ne s’agit pas de passer un contrat avec une société de sécurité, qui va débarquer quelques hommes en uniformes et lunettes de soleil. Car lorsqu’il s’agit de rapports entre les pays, il faut trouver une force supérieure, qui soit apte, dans ce cas, à faire respecter ces «garanties de sécurité» que l’État n’est pas apte lui-même à faire respecter.
Cela porte un nom : le protectorat, que l’on peut aussi appeler le colonialisme ou actuellement la soumission à l’ordre global. Quel que soit le terme, le résultat est le même : la soumission d’un État, qui perd son étaticité, et abandonne sa souveraineté en contrepartie de la garantie de sa sécurité par une autre puissance.
Il est possible, dans ce cas, de «négocier», comme l’on peut toujours négocier sa reddition. Mais il est inacceptable pour l’autre partie de prendre en compte votre intérêt national, puisque c’est justement ce que vous devez déposer à ses pieds.
La question de la sécurité de la Russie, comme de tout autre pays, ne se négocie pas. La sécurité d’un pays, ça se conquiert et ça se défend. Seuls les pays forts sont capables d’assumer eux-mêmes leur sécurité. Les autres se cherchent un maître.