Le «magot» du Sénat : une cagnotte discrète au cœur du pouvoir
© Getty ImagesAvec près de 1,8 milliard d’euros placés, le Sénat finance ses retraites grâce à un magot discret né après 1969 pour garantir son autonomie. Si cette gestion prudente lui assure l’indépendance, elle entretient une image de privilège et un manque de transparence. À terme, même cette réserve pourrait s’éroder sous la pression budgétaire.
Le Sénat français abrite un véritable trésor financier : 1,43 milliard d’euros d’immobilisations, valorisé à près de 1,8 milliard sur le marché. Une somme colossale, héritée de décennies de placements prudents et opaques, qui rapporte chaque année des revenus indispensables au financement du déficit croissant du régime de retraite des anciens sénateurs et fonctionnaires.
En 2024, les cotisations n’ont couvert que 35 % des 110 millions d’euros versés à près de 2 000 pensionnés. Les intérêts issus des placements comblent donc le déséquilibre, tandis que les réserves, composées pour moitié d’obligations et pour un tiers d’actions, continuent de fructifier. Pourtant, cette gestion soulève des interrogations éthiques : un pouvoir public n’est pas censé épargner de l’argent public, encore moins le placer en bourse, alors que la dette nationale dépasse les 3 400 milliards d’euros.
La fin des privilèges ?
Historiquement, cette réserve trouve son origine dans la peur de la disparition du Sénat après le référendum de 1969, qui avait failli supprimer la Chambre haute. Depuis, l’institution a voulu assurer sa survie et celle de ses membres, préférant capitaliser ses excédents plutôt que les restituer à l’État. À l’inverse, l’Assemblée nationale avait rendu l’essentiel de ses réserves dans les années 1990, restituant plus d’un milliard d’euros.
Le Sénat, lui, a choisi une autre voie : placer son argent, invoquant la nécessité de préserver son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Cette politique financière s’est accompagnée d’un silence tenace : ni la présidence, ni les questeurs ne commentent la composition exacte du portefeuille, entretenant une opacité dénoncée par plusieurs observateurs.
Dans le même temps, cette aisance alimente une image persistante de privilège. Si plusieurs avantages ont été abolis depuis 2017, contrôle des frais de mandat, fin des prêts à taux zéro, alignement partiel du régime de retraite, les pensions des sénateurs demeurent très supérieures à la moyenne : jusqu’à 2 200 euros nets mensuels par mandat avant leur récente réduction de 20 %.
Le Sénat justifie cette générosité par son système de capitalisation, mais ses réserves commencent elles aussi à s’éroder. À dotation constante, les dépenses augmentent, et la caisse des retraites des fonctionnaires sénatoriaux s’enfonce dans le rouge. Tandis que l’Assemblée nationale prévoit l’épuisement de ses réserves d’ici à 2032, le Sénat, mieux pourvu, bénéficie encore d’un sursis. Mais le débat est relancé : faut-il maintenir un tel magot alors que l’État serre la ceinture ?