Scandale des eaux minérales en France : une commission d’enquête révèle «les liaisons dangereuses» entre l’État français et Nestlé

Selon un rapport sénatorial, Nestlé Waters n’aurait pas été transparent sur la qualité de ses eaux minérales «naturelles». «La présidence de la République savait, au moins depuis 2022», et l'aurait dissimulé aux autorités européennes de manière «délibérée».
Le rapport d’une commission d’enquête sénatoriale, rendu public ce 19 mai, a abouti à des conclusions accablantes dans le scandale du traitement illégal des eaux minérales en France, qui concerne notamment la multinationale agroalimentaire Nestlé Waters. Le minéralier aurait, en effet, fait l’objet d’une « dissimulation par l’État » relevant « d’une stratégie délibérée », accuse le rapport sénatorial.
Six mois d’enquête et plus de 70 auditions ont mis en évidence qu’« outre le manque de transparence de Nestlé Waters, il faut souligner celui de l'État, à la fois vis-à-vis des autorités locales et européennes et vis-à-vis des Français » et « près de quatre ans après, la transparence n'est toujours pas faite », déplore le rapport.
Pour rappel, la fraude aux eaux minérales naturelles a été révélée en janvier 2024 par des journalistes du quotidien Le Monde et Radio France, indiquant l’utilisation de filtres illégaux pour purifier une eau contaminée par des pesticides et des bactéries fécales. Six mois d’enquête plus tard, la commission sénatoriale, présidée par Laurent Burgoa, sénateur LR du Gard, le département français qui accueille justement l’usine d’eau minérale Perrier (propriété du géant Nestlé) a pu présenter ses résultats.
« La présidence de la République, loin d'être une forteresse inexpugnable »
Cité par Le Monde, le rapporteur de la commission d’enquête sur la fraude aux eaux minérales, Alexandre Ouizille (député PS de l’Oise), a parlé de « liaisons dangereuses État-Nestlé » dans cette affaire. L’État français aurait en effet cédé devant le lobbying du géant de l’agroalimentaire, aux dépens de la protection des consommateurs. Le député a indiqué qu’un rapport de l’agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie avait été manipulé à la demande de Nestlé, à la suite d’échanges entre le cabinet de la ministre déléguée à la santé de l’époque, Agnès Firmin-Le Bodo, le directeur général de l’ARS et le préfet du Gard, faisant disparaître des mentions de contaminations aux pesticides et aux bactéries relevées dans les sources d’eau Perrier.
Sur cette même question, la commission sénatoriale a affirmé que « la présidence de la République, loin d'être une forteresse inexpugnable à l'égard du lobbying de Nestlé, a suivi de près le dossier » et « savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis des années ».
Les pratiques frauduleuses de Nestlé, selon le droit européen
La direction de Nestlé Waters avait affirmé avoir découvert fin 2020 l'usage de traitements interdits de l'eau minérale, d’où son recours au gouvernement et à la présidence française en 2021. Au bout de 18 mois, les pouvoirs publics approuvent un plan de transformation des sites, substituant les traitements à l’UV et au charbon actif (pratiques interdites par la loi) par la microfiltration fine. Cette dernière méthode n’est d’ailleurs pas sans reproches, dans la mesure où elle prive l'eau minérale de ses caractéristiques. Or, selon le droit européen, l’eau minérale naturelle ne doit ni être désinfectée ni traitée de manière à modifier ses caractéristiques.
À ce propos, le rapport indique qu’« en définitive, c'est au plus haut niveau de l'État que s'est jouée la décision d'autoriser une microfiltration sous le seuil de 0,8 micron ».
Il est à noter que le président français Emmanuel Macron avait démenti en février dernier être au courant de l’affaire des eaux minérales, lorsqu’il avait été interrogé par la presse à ce propos.
Du côté de Nestlé Waters, la marque Perrier attend la décision pour pouvoir continuer l'exploitation de la source sous l’appellation très lucrative d’« eau minérale naturelle ». Ce qui semble loin d’être acquis, étant donné que des hydrogéologues mandatés par l'État ont rendu un avis défavorable sur la question, selon la presse locale.