Interdiction des sites pornographiques aux mineurs : une mesure en trompe-l'œil ?

À partir du 11 avril, les sites pornographiques doivent renforcer leurs dispositifs de vérification d’âge pour empêcher l’accès des mineurs. Une mesure ambitieuse, mais des défis techniques et juridiques persistent, notamment face aux sites étrangers et aux contournements possibles.
Depuis ce vendredi 11 avril, la France franchit une étape décisive dans sa lutte contre l’accès des mineurs aux contenus pornographiques en ligne. L’Autorité de régulation audiovisuelle et numérique (ARCOM) impose désormais des méthodes strictes de vérification d’âge, mettant fin à des années de laxisme où une simple déclaration sur l’honneur suffisait. Cette réforme, portée par la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser l’espace numérique, répond à une urgence : selon l’ARCOM, 2,3 millions de mineurs, soit 30 % des visiteurs de ces sites, y accèdent chaque mois, souvent dès l’âge de 12 ans. Un danger majeur, à considérer un rapport publié en septembre 2024 par le Haut Conseil à l’égalité, qui alertait sur la montée en puissance des contenus violents sur les sites pornographiques mettant notamment en scène des viols et de la torture.
Un outil de vérification qui ne convainc pas le monde associatif
Les nouvelles exigences sont claires. Les sites doivent désormais utiliser des outils comme la vérification par carte d’identité ou la reconnaissance faciale via intelligence artificielle. Pour protéger la vie privée, un système de « double anonymat » est requis : un prestataire collecte les données personnelles sans connaître le site consulté, tandis qu’un autre transmet l’autorisation au site sans identifier l’utilisateur.
Pourtant, la mise en œuvre soulève des interrogations. Si les sites français et ceux hébergés hors Union européenne sont contraints de se conformer, les plateformes européennes, comme Pornhub ou Youporn, basées à Chypre, invoquent la directive européenne de 2000 sur le commerce électronique pour s’y opposer. Cette dernière garantit la libre circulation des services numériques au sein de l’UE, soumettant les sites au droit de leur pays d’établissement. Un arrêté du 26 février 2025 tente de contourner cette règle en ciblant 17 sites européens, mais des recours devant la Cour de justice de l’Union européenne pourraient freiner l’élan français.
Par ailleurs, les contournements techniques, comme l’utilisation de VPN pour masquer sa localisation, restent une menace. L’association Stop au Porno, qui lutte contre la diffusion du porno notamment auprès des enfants, s’est ainsi félicitée de la mesure tout en soulignant ses limites.
Nous nous félicitons de cette mesure qui va dans le bon sens mais ne suffira pas à endiguer les menaces de la pornographie sur les mineurs.https://t.co/Wy3DUwV8af
— SAP (@stop_au_porno) April 11, 2025
En Floride, où une loi similaire a été adoptée en 2024, de nombreux utilisateurs ont eu recours à ces outils pour accéder aux contenus interdits. En France, les adolescents, souvent à l’aise avec les technologies, pourraient adopter les mêmes stratégies, réduisant l’efficacité de la mesure.
L’ARCOM dispose néanmoins de nouveaux pouvoirs. Elle peut infliger des amendes, déréférencer ou bloquer les sites récalcitrants, comme elle l’a fait en 2022 pour cinq plateformes. Mais la bataille est loin d’être gagnée. Les associations rappellent que l’exposition précoce à la pornographie peut avoir des effets délétères sur le développement des jeunes, tandis que les géants du secteur, sous pression, continuent de défendre leur modèle économique. Les critiques se font de plus en plus nombreuses à l’endroit de l’industrie du porno. En 2021, un think tank estimait ainsi que le porno participait du «désastre écologique».