Justice sous tension : la qualité de vie au travail en chute libre

Magistrats, gardiens de prison et personnel judiciaire sombrent dans l’épuisement selon un baromètre choc de la Mutuelle des métiers de la Justice et de la Sécurité. Stress, insécurité et surcharge de travail minent ces professions.
La justice française vacille sous le poids d’une crise humaine sans précédent. Le dernier baromètre de la Mutuelle des métiers de la Justice et de la Sécurité (MMJ), publié le 8 avril 2025 et révélé par Le Figaro, dresse un constat alarmant : magistrats, gardiens de prison et personnel judiciaire subissent une dégradation brutale de leur « qualité de vie au travail ». Sur les 1 328 agents interrogés en 2024, 72 % ont connu une fragilité psychologique liée à leur métier, mais seuls 41 % ont bénéficié d’une prise en charge. « Ces femmes et ces hommes sont exposés à une tension extrême, dans des conditions souvent dégradées », déplore Jean-Yves Anfray, président de la MMJ.
« Épuisement mental » et surcharge de travail
Les gardiens de prison paient le plus lourd tribut. Confrontés à des établissements surpeuplés et gangrenés par les trafics, ils notent leur stress à 7,6/10 et leur satisfaction à un maigre 4,1/10. « 78 % sont régulièrement exposés à des comportements agressifs », précise l’étude. Les agressions, comme celle de trois surveillants à Metz en décembre 2024 ou l’évasion meurtrière de Mohamed Amra en mai, amplifient leur sentiment d’insécurité : 52 % craignent pour leur vie au travail, 39 % en dehors. Conséquences : 65 % souffrent de troubles du sommeil, 54 % d’épuisement physique. Seule la solidarité entre collègues, citée par 46 %, leur permet de tenir, face à une hiérarchie jugée absente par 54 % des sondés. Le milieu carcéral est par ailleurs miné par la surpopulation. Les prisons françaises ont ainsi dépassé les 82 000 détenus au 1er avril, un niveau inédit.
Les magistrats, eux, ploient sous une «surcharge croissante des dossiers» et un « manque de moyens ». Leur stress atteint également 7,6/10, un record depuis 2019. « L’épuisement mental est à un niveau jamais observé », note la MMJ. Avec des semaines de 60 à 70 heures, seuls 37 % parviennent à équilibrer vie professionnelle et personnelle. Les critiques publiques, exacerbées par des affaires comme le procès du RN ou des récidives médiatisées, accentuent leur isolement. « La légitimité de nos décisions est remise en cause quotidiennement », confie un juge anonyme, reflétant un malaise généralisé.
Le personnel judiciaire (greffiers, conciliateurs) n’est pas épargné. Seuls 27 % estiment avoir le temps de remplir leurs missions, et beaucoup peinent à « déconnecter ». La reconnaissance, tant de leurs pairs que du public, fait défaut, alimentant frustration et surmenage. Dans la protection judiciaire de la jeunesse, où les délinquants rajeunissent, la satisfaction chute à 4,6/10, avec un stress à 7,7/10. « 50 % jugent leurs horaires incompatibles avec leur vie privée », ajoute l’étude, tandis que 60 % souffrent de douleurs chroniques.
Ce baromètre, basé sur un échantillon représentatif des 110 000 adhérents de la MMJ, sonne l’alarme. « L’urgence d’agir s’impose », insiste Jean-Yves Anfray, pointant des « lacunes structurelles » et un manque de soutien hiérarchique. Sans mesures concrètes : renforts humains, moyens matériels, accompagnement psychologique, ces métiers risquent de s’effondrer, fragilisant l’ensemble du système judiciaire.