Un an après l’élection de Bassirou Diomaye Faye à la présidence du Sénégal, l'équipe de RT en français a rencontré Aminata Touré, haute représentante du chef de l’État. Ancienne Première ministre, figure majeure de la scène politique sénégalaise, elle nous a confié sa vision d’un pays souverain, panafricain, et acteur du monde multipolaire.
Souveraineté, pilier de la nouvelle gouvernance
Avec l’élection de Bassirou Diomaye Faye, la souveraineté est devenue un fil conducteur de l’action politique sénégalaise. Qu’il s’agisse de souveraineté monétaire, militaire ou diplomatique, Aminata Touré insiste sur une rupture assumée avec le passé.
Sur le plan économique, le Sénégal entend sortir de la zone franc CFA : «Le franc CFA de toute façon ça va bientôt être à mon avis de l'histoire ancienne parce que ce n'est plus adapté aux ambitions de nos économies.» L’objectif reste la mise en place de la monnaie unique ouest-africaine, l’éco : «C'est pour ça que la Cédéao réfléchit sur la question pour que dans les meilleurs délais cette monnaie qui s'appellerait l'éco verrait le jour.»
Le volet militaire n’est pas en reste. Le départ des troupes françaises, prévu en septembre, s’inscrit dans cette logique : «Effectivement, les troupes devraient partir d'ici le mois de septembre, je crois que le processus est en cours.» Pour Aminata Touré, cette décision est simplement un retour à la normale : «Je ne connais pas beaucoup de pays où il y a des troupes étrangères, donc c'était de l'histoire ancienne, on est venu juste à la normale.» Le 4 avril prochain, la fête nationale se déroulera justement sur le thème de la souveraineté militaire.
La souveraineté s’exprime aussi dans les choix diplomatiques. L’accord sur la pêche entre l’Union européenne et le Sénégal a été annulé. Motif ? «C'était un accord complètement inégal et ça ce n'est plus acceptable», a-t-elle déclaré.
Une décolonisation toujours en cours
Pour Aminata Touré, la décolonisation n’est pas un chapitre clos, mais un combat encore en cours : «Nous sommes à une étape portée par cette population jeune africaine qui veut changer le sort des populations africaines.» Un combat ancien et inégal : «Pendant que l’Occident faisait sa révolution industrielle, nous, on se battait pour exister.» Malgré les violences de l’esclavage et de la colonisation, l’Afrique a résisté : «On aurait pu finir comme les Aztèques, les Incas, ils ont disparu, quand les conquistadors espagnols sont arrivés.»
C’est dans cette continuité que s’inscrivent les révisions de contrats et la demande de transparence dans les accords économiques passés. La rupture avec les pratiques héritées du passé est aujourd’hui au cœur des priorités gouvernementales.
Une voix pour le monde multipolaire
Le Sénégal affiche une volonté claire de diversification de ses partenariats. Pour Aminata Touré, les BRICS représentent une opportunité stratégique : «Les BRICS, c'est la preuve qu'on peut définitivement éradiquer la pauvreté dans un espace humain, vous n'avez pas besoin de deux trois siècles pour le faire». Elle cite l’exemple de l’Inde : «Il y a 40 ans, c'était un pays extrêmement pauvre, aujourd'hui c'est une puissance mondiale.»
Cette vision s’accompagne d’un appel à la réforme de l’ONU : «C'est complètement démodé le système tel qu'il existe aujourd'hui, où vous n'avez pas l'Afrique présente avec un siège permanent.» Mais qui représentera le continent ? «Les Africains peuvent s'arranger pour savoir qui va s'asseoir sur le siège permanent et le faire», a-t-elle déclaré.
Zones de tension : une diplomatie de paix
Dans un contexte international tendu, Dakar se veut porteur de paix. Sur le conflit ukrainien, Aminata Touré reste prudente, mais engagée : «Je vois les ouvertures de dialogue qui se font, j'espère qu'elles conduiront à un arrêt définitif des combats et que la paix sera rétablie».
La position est plus ferme concernant la situation à Gaza : «Qui en souffre ? Ce sont les femmes et les enfants pour l'essentiel, et on considère qu'en 2025, ce niveau de barbarie ne devrait plus exister dans le monde.» Le Sénégal, dit-elle, continuera à défendre le droit du peuple palestinien à un État souverain.
Une diplomatie panafricaine et engagée
Pour Aminata Touré, l’Afrique entre dans une nouvelle ère. Une ère où les peuples du continent veulent rompre avec les héritages inégalitaires du passé, peser dans les décisions mondiales et défendre leurs intérêts avec une voix claire. Cela implique, selon elle, de réformer les institutions internationales, mais aussi de renforcer l’unité africaine face aux grands défis de notre temps. Une dynamique est lancée. Reste à savoir qui portera cette voix, et jusqu’où elle résonnera.
