D’où vient la force de la Géorgie ? D’où lui vient cette confiance qu’il est possible de dire non ? Et d’être certain, envers et contre le monde occidental vassalisé, que même un petit pays comme la Géorgie peut reprendre sa souveraineté, déterminer sa voie ? Pour Karine Bechet-Golovko, l’exemple de la Géorgie doit redonner espoir à la France.
Fin octobre, les élections parlementaires géorgiennes ont donné une majorité très confortable à une force politique, «le Rêve géorgien», qui ne défend pas la dissolution du pays dans l’atlantisme. Il faut dire qu’avant cela, le Parlement avait réussi à faire passer une loi exigeant la transparence du financement des ONG et des mouvements politiques dans le pays, ce qui avait déjà provoqué l’ire des institutions européennes et américaines, qui voyaient ainsi s’effondrer la possibilité de cacher leur ingérence derrière de fausses organisations dites nationales.
Ainsi, la présidente franco-géorgienne Salomé Zourabichvili se retrouve dans l’opposition en situation de cohabitation. Elle ne reconnaît pas le résultat des élections, accuse de fraudes sans avoir pu les prouver. Il faut dire que son inquiétude est fondée : dans la foulée des réformes néolibérales conduites dans l’espace post-soviétique instaurant le régime parlementaire contre des personnalités présidentielles potentiellement trop encombrantes, elle comprend parfaitement qu’en décembre elle ne pourra pas être reconduite dans ses fonctions par ce Parlement. Les atlantistes risquent donc de perdre les rênes institutionnelles du pouvoir en Géorgie.
Après un instant d’hésitation internationale, où les États-Unis, embourbés dans leurs élections présidentielles, soutenaient juste du bout des lèvres les appels au soulèvement «pro-européen» de Zourabichvili contre l’intérêt national, contre le Parlement élu et contre le système constitutionnel, le feu vert a été donné. Remises de leurs premières émotions après l’arrivée de Trump, elles se remettent au travail. Or, la Géorgie est un élément important de retour à la stratégie du refoulement, dans la prolongation de la Doctrine Truman, réaffirmée à l’égard de la Russie par l’assemblée parlementaire de l’OTAN au dernier sommet du Canada.
De son côté, sans remettre ouvertement en cause le cours «européen» de la Géorgie dans son discours, le pouvoir en place adopte toute une série d’actes extrêmement courageux, permettant de remettre le pays sur la voie de la souveraineté. En plus de la sortie idéologique du cours européaniste avec le rejet légiféré du culte LGBT, la Géorgie adopte toute une série de mesures continuant la politique de réappropriation des instruments de garantie de la souveraineté nationale, initiée avec la loi sur la transparence du financement étranger des ONG et des mouvements politiques.
Des mesures vitales pour restaurer la souveraineté du pays
Le Premier ministre géorgien vient d’annoncer deux décisions inédites : suspendre le processus d’adhésion à l’UE pour quatre ans et refuser tout financement budgétaire européen. Ces mesures vitales pour restaurer la souveraineté du pays et garder la main sur le processus législatif sont à juste titre conçues comme une gifle donnée aux institutions européennes, qui exerçaient justement un chantage à l’adhésion et au financement pour forcer la Géorgie à suivre un certain cours politico-idéologique.
Et tout d’un coup, ce pays affirme haut et fort : «Désolé, ça ne vous intéresse pas !» C’est la première fois qu’un pays condamne ouvertement le chantage traditionnellement effectué par les institutions européennes. Même la Turquie ne remet pas en cause son statut d’éternel candidat à l’adhésion. L’UE se reconnaît le droit de punir, de rejeter, de faire attendre. Elle n’a pas l’habitude qu’on lui dise d’attendre, qu’on l’oblige à des relations horizontales.
Comme l'a déclaré le Premier ministre : «Aujourd'hui, nous avons décidé de ne pas inscrire à l'ordre du jour la question de l'ouverture des négociations [sur l'adhésion à l'UE] avant 2028. Nous refusons également toutes les subventions budgétaires de l'Union européenne jusqu'en 2028.»
Comme l’a souligné Kobakhidze, la Géorgie doit montrer aux bureaucrates européens qu’ils doivent lui parler «non pas par le chantage et les insultes, mais avec dignité». Selon lui, l'UE a porté atteinte à la réputation de la Géorgie en utilisant le thème de l'ouverture des négociations comme outil de manipulation. La décision prise par le parti au pouvoir permettra donc d’éviter ces dégâts.
Rappelons que la Géorgie a déposé sa demande d’adhésion en mars 2022, juste après le début de l’opération militaire spéciale lancée par la Russie en réaction à l’agression grandissante dont elle faisait l’objet. Cette demande était alors jointe à celles de la Moldavie et de l’Ukraine. Elles furent symboliquement immédiatement acceptées. Alors que la Moldavie suit désormais la voie ouverte par l’Ukraine, la Géorgie, elle, se réveille.
La Géorgie se réveille
La décision de suspension de l’adhésion à l’UE a été l’occasion de relancer le processus des manifestations violentes contre le pouvoir national, devant faire basculer ce pouvoir, sur le mode du Maïdan ukrainien. Le problème pour les atlantistes est que le Maïdan a déjà eu lieu, les autres pays peuvent donc voir qu’elles en sont les conséquences. Et si les élites dirigeantes de ces pays ont à cœur de défendre l’intérêt national et non pas de servir des maîtres étrangers, alors ils ne répéteront pas si facilement les erreurs des dirigeants ukrainiens en poste en 2013-2014.
On remarque à Tbilissi la répétition de l’ingénierie sociale des révolutions de couleur : drapeaux européens en plus du drapeau national, distribution de masques à gaz aux manifestants, recours aux adolescents, formation de groupes hyper-violents très organisés, utilisation des lasers et lancement de projectiles et cocktails Molotov sur les forces de l’ordre, dégradation des lieux de pouvoir (ici le Parlement), dégradation des rues pour donner une impression de chaos, constructions de barricades...
La police géorgienne, elle, à la différence de l’Ukraine, ne laisse pas faire et chaque nuit disperse et interpelle les émeutiers. Le pouvoir soutient officiellement les forces de l’ordre. Et le Premier ministre déclare qu’il ne laissera pas se reproduire le scénario du Maïdan.
Parallèlement, nous avons la présidente franco-géorgienne reprenant le discours du Quai d’Orsay, affirmant que la police n’a strictement aucune raison de réagir contre les manifestants «pacifistes» (qui ont déjà blessé une bonne quarantaine de policiers en quelques nuits, en plus des dégâts matériels), que ce sont les policiers qui sont à l’origine de l’escalade et elle appelle à continuer le combat, oubliant dès lors le côté pacifiste.
Au-delà de cet aspect de la pression exercée par la rue, une question stratégique se pose pour les atlantistes : sans la faiblesse et la compromission des organes nationaux de pouvoir, il n’est pas possible d’organiser une révolution de couleur. Car la réussite de ces révolutions repose sur la capitulation des institutions étatiques et des pouvoirs réguliers au profit de forces extérieures.
Un espoir aussi pour la France
Le Parlement européen ne trouve rien de mieux que d’accuser sans preuves de manipulation les élections parlementaires européennes d’octobre pour demander la tenue de nouvelles élections. Comme cela est bien connu, des résultats non conformes aux intérêts globalistes ne peuvent être acceptables et légitimes dans ce cadre idéologique : le processus électoral, dans le monde global, sert à légitimer post-factum des choix qui sont faits antérieurement et extérieurement. En Ukraine par exemple, en 2004, la rue avait réussi sous la pression de l’OSCE à briser le jeune et fragile système politique ukrainien de cette manière, en imposant de l’extérieur, avec une pression intérieure, un troisième tour inconstitutionnel. Le système politico-institutionnel ukrainien ne s’est jamais relevé de cette agression politique. La Géorgie en a tiré la leçon et refuse de plier.
Que peuvent alors faire les atlantistes ? Car ils ne peuvent se permettre de perdre ce pays dans leur combat contre la Russie.
La présidente franco-géorgienne vient de déclarer qu’elle ne quitterait pas le pouvoir à la fin de son mandat, le 14 décembre. «Tant qu’il n’y aura pas de nouvelles élections et un Parlement qui élira un nouveau président selon de nouvelles règles, mon mandat se poursuivra», a déclaré Salomé Zourabichvili, dans un entretien exclusif à l’Agence France-Presse (AFP). «Personne en dehors de la Géorgie, parmi nos partenaires démocratiques, n’a reconnu les élections», souligne la présidente qui se présente comme la «seule institution légitime du pays».
Quand les atlantistes ne peuvent imposer leur choix, ils ne reconnaissent pas le choix exprimé démocratiquement par la population. Car, dans le monde global, la démocratie ne vient pas du bas (du peuple), mais de l’extérieur (des élites atlantistes). Donc, comme l’exprime Zourabichvili, si ce choix n’est pas validé par les élites atlantistes, il n’est pas légitime.
La Géorgie va se retrouver dans la même situation que la Biélorussie avec Tikhanovskaya ou le Venezuela avec Guaido. Des figures, qui ne sont pas passées démocratiquement, mais qui étant tenues de l’extérieur, ont été posées sur la scène internationale comme des «dirigeants» fictifs. Leur poids politique réel fut nul et petit à petit ils sont sortis de la scène.
Le fait que Zourabichvili soit une présidente pour l’instant en exercice mais sortante complique institutionnellement et politiquement la situation. La Géorgie pourra soit l’ignorer et faire fonctionner ses institutions normalement, indépendamment de ses poussées médiatiques internationales, soit l’incarcérer si elle va trop loin et présente un danger pour le fonctionnement régulier des institutions. Dans tous les cas, Zourabichvili perd sa légitimité en condamnant le choix politique clairement fait par la majorité des Géorgiens, en affirmant aussi ouvertement son allégeance à des forces extérieures, en reconnaissant indirectement l’incompatibilité existentielle de ces deux modes de gouvernance.
Cet exemple est important pour la France, elle aussi soumise à un diktat atlantiste, qui aujourd’hui conduit notre pays à la faillite, et morale, et politique, et économique, et sociale. L’on voit ainsi que de véritables élites nationales peuvent porter l’espoir de tout un peuple de retrouver sa souveraineté. Même si la Géorgie a un avantage de poids par rapport à la France, puisqu’elle n’est pas entrée dans l’UE, rien n’est impossible à qui le veut réellement.
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