Pourquoi l’Union européenne veut-elle absolument saisir les avoirs russes gelés alors que cette démarche s’oppose à toute logique juridique, économique et militaire ? Ces derniers jours, certaines déclarations, perquisitions et annonces ont peut-être apporté des éléments de réponses à ce mystère apparent. Une analyse d’Alexandre Regnaud.
Il y a des journées où tout s’éclaire en même temps.
Le 3 décembre, le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, déclarait sur Fox News à propos d’un soutien illimité à Kiev : « Ce n'est pas une réalité et cela ne se produira pas. » En gros, les Américains arrêtent définitivement de payer.
Le même jour, le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, estimait que l’Union européenne devrait allouer environ 1 milliard d'euros par mois à l'achat d'armes américaines pour l'Ukraine (le programme PURL), précisant que « plus de 4 milliards de dollars » avaient déjà été dépensés entre août et la fin de cette année. En gros, les Européens, eux, continuent de payer, aux Américains donc…
Le problème est que les Européens n’ont plus d’argent, leur déclin économique ayant en grande partie été accéléré par leurs propres politiques russophobes. L’Allemagne en est un parfait exemple.
D’ailleurs, toujours ce 3 décembre, son ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, annonçait que son pays allouerait 200 millions de dollars supplémentaires dans le cadre de l'initiative PURL et verserait 25 millions d'euros au fonds de l'OTAN pour l'Ukraine.
Le même jour, on lisait dans Les Echos que « l'économie allemande est en chute libre » et que la Fédération allemande de l'industrie tablait sur une baisse de la production de 2 % cette année. Et le Berliner Zeitung d’ajouter que les entreprises allemandes ayant épuisé toutes leurs options, 94 % des entreprises énergivores prévoyaient de délocaliser leur production à l'étranger.
Causes et conséquences… Il leur faut donc trouver rapidement une autre recette pour continuer à servir les intérêts américains et surtout, à approvisionner l’ogre de Kiev en argent frais.
Ce qui nous amène, toujours le même jour, aux déclarations d'Ursula von der Leyen sur le plan d’expropriation des 210 milliards d'euros d'actifs russes gelés. Des milliards d’euros disponibles, quand eux n’en ont plus.
Tout confisquer pour financer Kiev
Le projet est donc de confisquer le tout, d’acheter des armes américaines, et d’allouer directement 90 milliards d’euros à Kiev en 2026 et 2027, sous la forme d’un prêt à taux zéro, que l'Ukraine ne remboursera que si et quand la Russie paiera des réparations. C’est-à-dire jamais !
On aurait donc de l’argent russe volé pour être donné à l’Ukraine, qui le rembourserait hypothétiquement un jour avec de l’argent russe, donné à titre de réparation. En gros, la Russie rembourserait avec son propre argent son argent déjà volé.
L’initiative étant simplement délirante, elle rencontre naturellement des oppositions farouches. En premier lieu de la Belgique, principal État concerné, puisque 185 milliards sont détenus sur son sol par la société Euroclear, les 25 autres l'étant dans d’autres pays membres. Les Belges seraient donc juridiquement et financièrement responsables de ce vol devant les instances et la justice internationales.
En réponse à Ursula von der Leyen, le Premier ministre belge, Bart De Wever, a donc rappelé que ce serait une première dans l’histoire, et qu’auparavant les avoirs souverains étaient simplement gelés pendant un conflit et ne pouvaient être transférés qu’en cas de défaite, ce qu’il a qualifié « d’illusion pure » concernant la Russie en Ukraine. Pourquoi alors continuer absolument la guerre ?
Même la Banque centrale européenne, parfaitement consciente du danger, s’y oppose. Le Financial Times a en effet révélé que la BCE avait catégoriquement rejeté le plan de la Commission, estimant qu’il « violait son mandat » et refusant d’intervenir comme « prêteur de dernier recours » pour Euroclear.
La Commission est en revanche bien soutenue par Emmanuel Macron, Friedrich Merz et la clique des bellicistes, dont on sait depuis longtemps qu’ils servent d’autres intérêts que ceux de leurs pays. D’ailleurs, Ursula von der Leyen a également annoncé avoir « reçu le soutien des Etats-Unis ». Logique, l’argent reviendra dans leurs caisses sous forme d’achat d’armes, et la fuite massive des capitaux étrangers que ne manquerait pas se susciter ce vol se relocaliserait en partie chez eux. Pas besoin d’ennemis avec des amis pareils.
Bref, tout cela est une très mauvaise idée à tous les niveaux, et pourtant, ils s’entêtent. La question est donc de savoir pourquoi. Soit ils ne comprennent pas les conséquences, soit ils ont d’autres intérêts que ceux avoués.
Soupçons de corruption dans les couloirs de Bruxelles
D’ailleurs, et pas forcément par le fait du hasard, toujours le même jour, l'ancienne cheffe de la politique étrangère de l'UE, Federica Mogherini, et le chef de la direction générale de la Commission européenne pour le Moyen-Orient, Stefano Sannino, étaient perquisitionnés et arrêtés par le Parquet européen pour des soupçons de « fraude en marchés publics, corruption, conflits d’intérêt et violation du secret professionnel » sur fond de manipulations liées à des appels d’offres.
Un classique de l’UE, qui raisonne étrangement avec l’affaire des SMS de von der Leyen, des milliards d’euros de contrat Pfizer, et vient une nouvelle fois souligner toute une aura de pratiques douteuses autour d’elle et d’une institution où cela est historiquement monnaie courante.
Certains ne s’y trompent pas. « Ceux qui n’apprécient pas Ursula von der Leyen vont se servir de cela contre elle » et « le plus grand scandale à secouer Bruxelles depuis la démission collective de la Commission Jacques Santer en 1999, suite à des accusations de mauvaise gestion financière » (déjà), lit-on dans Politico.
Il faut comprendre que les faits concernent la période pendant laquelle Stefano Sannino était secrétaire général du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), soit le numéro deux de la diplomatie européenne et adjoint de Federica Mogherini, puis de son successeur Josep Borrell. C’est-à-dire déjà sous la présidence de von der Leyen, et dans une institution désormais dirigée par l’Estonienne Kaja Kallas.
C’est que les couloirs de Bruxelles bruissent de rumeurs, surtout depuis les révélations ouvertes de corruptions en Ukraine via l’affaire Midas.
Larry Johnson, ancien agent de la CIA, parlait il y a quelques jours de circuits opaques reliant Bruxelles, Tallinn et Kiev, et de fonds destinés à l’Ukraine qui auraient disparu alors qu’ils étaient en transit dans une banque… estonienne. Certains à Bruxelles soupçonneraient que les perquisitions au SEAE étaient également destinées à explorer cette piste, d’autant plus qu’elles sont menées, géographie oblige, par la police… belge.
Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères enfonce le clou : « Mogherini n'est même pas la première hirondelle. C'est une petite moucheronne face à de grands navires. […] Sur fond de ces tranches de plusieurs millions de dollars dont ils étaient si fiers, cela prend une certaine dimension. »
Et en effet, immédiatement, l’insistance de certains à vouloir absolument continuer la guerre et à verser des milliards à Kiev malgré toute logique politique, économique, juridique et militaire, prend un tout autre sens.
Bien sûr, ces soupçons de détournement des financements ukrainiens restent de simples bruits de couloirs. Des rumeurs cependant suffisamment prises au sérieux dans le contexte actuel pour que Kaja Kallas elle-même se sente obligée de réagir.
Le Berliner Zeitung nous apprend en effet le 5 décembre que dans une lettre personnelle aux employés du SEAE, l'ancienne Première ministre estonienne tenait à souligner que les bases du scandale en cours avaient été posées « sous des mandats précédents ». Un empressement à se dédouaner qui n’est pas précisément ce que j’appellerais avoir la conscience tranquille…
De là à y voir une des explications les plus rationnelles à cet entêtement sinon incompréhensible à vouloir saisir les avoirs russes pour poursuivre une guerre déjà clairement perdue... Une autre explication étant l’incompétence et la bêtise pure et simple… Je vous laisse juge.
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